27 août 2012

Heroes of mine : Jean


Jean Gabin a longtemps été pour moi l'acteur du cinéma de Pépé. Parce que mon grand-père qui, s'il était vraiment très loin d'être un cinéphile, était en revanche un bon Français moyen de son temps qui se réjouissait toujours d'une diffusion d'un Gabin à la télé (comme d'un Fernandel d'ailleurs). A chaque vacances que je passais chez mes grands-parents, on était donc sûr de ne pas y louper si un film de Gabin était annoncé sur le poste pour 20h30. Enfin moi pas parce que j'allais alors le plus souvent bouquiner dans ma chambre.


Bien plus tard, j'ai vu ou revu des Gabin. Beaucoup parce qu'il a longtemps et beaucoup tourné. Et petit à petit, j'ai moi aussi commencé à aimer l'acteur, l'homme et la star. La plus grande du cinéma français. Et comme avec toutes les stars, ma fidélité au personnage s'est reposée sur une fascination qui, je pense, ne se démentira pas. Gabin, c'est cette présence physique magnétique, cette façon d'être toujours dans une sorte de sous-jeu traversé d'éclairs tonitruants, cette discrète ambiguïté émotionnelle, ces rôles écrits sur mesure avec leur code et leur syntaxe, cette putain de série de chefs-d'oeuvre. Et l'intrigant effet de voir à l'écran, de ses films des années 30 à ceux des années 70, près de cinquante ans de la maturation d'un homme.


Gabin était né en 1904, mon grand-père en 1902. Ils ne se sont jamais rencontrés dans la vie mais leur vies se sont écoulées parallèlement. Je n'en ai jamais parlé avec lui, mais j'ai compris longtemps après qu'ils soient tous les deux partis pourquoi Pépé était si content de savoir qu'il allait retrouver un copain fidèle chaque fois que le nom de Jean Gabin était annoncé sur un générique.


Jean Gabin (1904-1976)

19 août 2012

Margaret (Kenneth Lonergan, 2011)



Ca faisait longtemps (à y réfléchir, depuis Melancholia) que je n’avais pas été happé par un film à ce point, alors j’ouvre un post sur Margaret, dont la production est une histoire en elle-même.

Pour faire bref, Kenneth Lonergan a tourné son film en 2005 mais des désaccords entre lui et ses producteurs et son incapacité à monter son film dans les limites de 150 minutes inscrites dans le contrat de départ ont provoqué des retards incessants, des procédures judiciaires (qui sont toujours en cours), une aide bénévole de Martin Scorsese et Thelma Shoonmaker (pour une assistance au montage, qui n’a rien donné au final) et une sortie en catimini six ans après le tournage d’une version 150 minutes dans quelques salles US en octobre 2011. Que presque personne n’a vu d’ailleurs. Margaret est donc un peu aux années 2000 ce qu’Heaven’s Gate a été aux années 1980 : une production passionnelle et un désastre financier. Jusqu’à la sortie confidentielle en combi Blu ray – DVD aux Etats-Unis (vendu par Amazon uniquement) il y a quelques semaines : sur le Blu ray, la version salles de 150 minutes et sur le DVD, la version Extended Cut de 186 minutes (c’est celle que j’ai vue).

Le film doit sortir en salles françaises le 29 août 2012 dans sa version 150 minutes. (EDIT : une news du Monde annonce que le film sort dans une seule salle à Paris et en V.F. Honteux ! Il ne faut pas voir ce film en Version Française, c'est certain.)


Margaret est un film fleuve d’une ambition démesurée et qu’on pourrait inscrire dans le genre du drame, du drame psychologique ou du mélodrame. Il est un peut tout ça et bien plus encore. C’est l’histoire de Lisa, une lycéenne new-yorkaise de 17 ans (interprétée par Anna Paquin) assez solitaire, intelligente, manipulatrice et qui a un avis sur tout qui voit sa vie bouleversée le jour où elle est directement impliquée dans un accident de bus mortel à Manhattan. Sans révéler les méandres du scénario (comme dans tout mélodrame, il faut se laisser porter sur les rapides), on peut dire que le choc traumatique de l’accident – dont elle n’est pas victime, mais témoin – révèle des aspects de sa personnalité et lui fait accomplir des actes qui ricochent sur son entourage proche (sa mère, ses camarades de classe, ses professeurs) et lointain (les personnes impliquées par l’accident).


Ca c’est pour l’histoire mais la façon dont le film la traite va bien au-delà puisque Lonergan conçoit l’ensemble comme une plongée dans la vie émotive de Lisa – et de son imaginaire d’adolescente – qui lui fait vivre le trauma qu’elle traverse comme s’il s’agissait d’un livret fictionnel, de théâtre ou plutôt d’opéra dont elle serait l’héroïne. La musique a d’ailleurs une part essentielle dans le film, que ce soit dans la BO (formidable) de Nico Mulhy ou les nombreux extraits de musique classique (notamment Les Quatres Derniers Lieder de Strauss) jusqu’au final au Metropolitan Opera où Renée Fleming chante Les Contes d’Hoffmann. Cette imbrication entre le fantasme et la réalité est évoquée par le titre du film qui n’est pas celui de son personnage principal, Lisa, mais Margaret (la clé de ce décalage des noms nous est donnée à un moment).

Le montage du film (qui a tellement causé de problèmes à la production) alterne les scènes très réalistes (l’accident de bus du début est l’une des scènes émotionnellement les plus fortes que j’ai vues à l’écran depuis un bon bout de temps) notamment les confrontations entre Lisa et sa mère aux longs passages contemplatifs, notamment sur des vues au ralenti des rues surpeuplées de Manhattan sur lesquelles plane l’ombre du 11 Septembre. Chacun des plans à sa raison d’être – c’est pour cela que l’obligation de respecter une durée imposée à tant pesé au réalisateur – et ce panachage de différents styles dans un même film peut irriter certains. A noter aussi, le travail étonnant sur la bande son où régulièrement, les dialogues de personnages complètement extérieurs à l’histoire (des figurants) prennent le dessus, dans une même scène, sur les dialogues des personnages principaux. Si on prend le film dans son ensemble comme un exercice - c’est bien plus que ça, évidemment – de type littéraire ou musical, on se dit qu’on a là un chef-d’œuvre ou tout au moins un film important au sens classique.


Anna Paquin est époustouflante dans un rôle difficile – qui lui aurait valu sans doute une nomination aux Oscars si le film était sorti normalement – qui lui impose d’être à l’image pendant presque toutes les scènes du film. Un des intérêts du film est aussi dans le fait que son héroïne, Lisa, soit un personnage absolument « non aimable » et pour lequel le spectateur ne peut ressentir que très peu d’empathie (ce qui bouscule en profondeur les codes du mélodrame). Et pourtant, on est emporté par son histoire parce que l’écriture fait exister les personnages de façon admirable.

Parmi les autres acteurs, j’ai aussi été époustouflé par la performance de J. Smith-Cameron, que je ne connaissais pas, (c’est la femme du réalisateur) dans le rôle de la mère de Lisa. Il y a aussi Matt Damon et Matthew Broderick (deux profs de Lisa), Mark Ruffalo, Jean Reno et pas mal d’autres têtes connues qui font une apparition ici et là.


Margaret fait donc partie, en plus des genres que je mentionne au début, de celui de ce que les anglo-saxons appellent le « coming of age movie » (le film de passage entre le monde de l’adolescence et de l’âge adulte). Dans ce genre-là, il est tout en haut du panier, sa complexité structurelle et métaphorique appellent à la discussion à peine la vision terminée, ce qui est toujours bon signe. Lisa est un des personnages les plus intéressants – à défaut d’être l’un des plus aimables - qu’on ait pu voir sur un écran depuis longtemps. Pour moi, le film est un chef-d’œuvre et Kenneth Lonergan confirme qu’après son excellent You can count on me / Tu peux compter sur moi (2000), il est en effet un réalisateur qui compte.

Je vais bientôt regarder la version 150 minutes (sur le Blu ray) qui paraît-il, peut sembler comme un tout autre film. Mais j’attends pour cela que la force émotionnelle et intellectuelle de ma découverte récente du film se soit un peu estompée.

Vous avez compris que je vous incite vivement à aller voir Margaret quand il sort en salles (mais pas en VF et de toutes façons une sortie décente du film en France semble maintenant compromise) ou plus tard par tout autre moyen. Vous l’aimerez ou vous ne l’aimerez pas (et chaque point de vue se défend) mais il ne vous laissera pas indifférent. Parce que c'est un film différent. En ce qui me concerne, c’est un des grands films contemporains.

3 août 2012

Films vus par moi(s) : août 2012


*** excellent / ** bon / * moyen / 0 mauvais

Madagascar 3 : Europe's most wanted / Madagascar 3 : Bons baisers d'Europe (Eric Darnell, Tom McGrath & Conrad Vernon, 2012) 0
Je lui aurais bien mis * pour l'excellence de la technique d'animation CGI mais l'indigence du scénario qui accumule sans queue, tête ni répit péripéties et vannes a eu raison de ma patience. Le film bondit partout pour aller nulle part : du délire pour mon voisin de siège, du foutage de gueule pour moi. Ce n'est pas parce qu'ils peuvent tout faire qu'il faut gober n'importe quoi. Ciné plein-air 

Le prénom (Matthieu Delaporte & Alexandre de La Patellière, 2012) **
Une soirée parisienne entre amis quadragénaires, bobos et juifs. Un invité annonce à table qu'il va appeler son fils à naître Adolphe et c'est la crise de nerfs générale. Cette adaptation d'une comédie de boulevard à succès ne fait pas dans la dentelle et n'est que du théâtre filmé mais Bruel, Berling, Benguigui et les autres assurent leurs répliques sur un rythme vraiment amusant. Ciné plein-air

Uncle David (David Hoyle, 2010) **
Pas pour tout le monde. Un film art-house british tourné en vidéo sans un sou mais subversif en diable sur la relation incestueuse et perverse entre un homo sur le retour (l'ex drag queen David Hoyle) et son infantile neveu (l'acteur porno Ashley Ryder) dans un mobile home sur la côte du Kent. Ce que le film veut dire est assez obscur mais l'audace peu commune du projet est à saluer. DVD Z2 UK

Hasta la vista (Geoffrey Enthoven, 2011) **
Bien sûr une histoire comme celle-là est démagogique et prévisible (trois jeunes flamands : un tétraplégique, un aveugle et un cancéreux) partent vers l'Espagne pour perdre leur virginité dans un bordel, mais le portrait sans compassion des compères, l'humour et l'humanité sincère qui imprègnent ce road-movie "différent" lui donnent une surprenante profondeur. Attachant. BR Fr

Remorques (Jean Grémillon, 1941) ***
Sur fond de Brest d'avant-guerre, Jean Gabin, capitaine de remorqueur, délaisse sa femme Madeleine Renaud et tombe sous le charme de la mystérieuse Michèle Morgan. La douleur triste du film, ses scènes de tempêtes en mer et ses magnifiques travellings lui donnent une charge poétique bouleversante qui culmine dans l'extraordinaire prière aux agonisants finale. DVD Z1 US 

La vérité sur Bébé Donge (Henri Decoin, 1952) **
Danielle Darrieux, splendide, passe de l'ingénue à l'ange de la Mort dans ce drame sur une jeune femme qui perd ses illusions et sa joie de vivre après avoir épousé un industriel provincial (Jean Gabin dans un rôle en retrait) qui la délaisse. Une adaptation étonnamment sombre de Simenon sur les ravages des concessions bourgeoises dont les choix d'austérité rebutèrent le public. DVD Z2 Fr

Margaret (Kenneth Lonergan, 2007-2011) ***
Une new-yorkaise de 17 ans (Anna Paquin, impressionnante), impliquée dans un accident de bus, réagit de façon complexe au trauma qu'elle a traversé. Un film fleuve d'une ambition monumentale qui dresse le portrait d'une adolescente confuse et manipulatrice tout en parlant des thèmes les plus universels. L'écriture, la réalisation et le casting en font un chef-d'oeuvre. DVD Z1 US (vu dans la version Extended Cut de 186 minutes) 

Los sin nombre / La secte sans nom (Jaume Balaguero, 1999) 0
La secte en question tente d'extraire d'enfants kidnappés (on suit la douleur d'une mère pour l'émotion facile) "la synthèse du Mal" afin d'atteindre un niveau de conscience supérieure. Ca sonne imbécile, c'est encore plus con que ça. Le médiocre réalisateur, lui, tente d'instaurer un climat malsain à base de gros plans, d'inserts gores fugitifs et de bruitages attendus. Mauvais comme tout. BR Fr 

Jaws / Les dents de la mer (Steven Spielberg, 1975) ***
A part quelques envolées symphoniques un peu lourdes dans la musique de Williams (je ne parle évidemment pas du thème du requin, génial), le chef-d'oeuvre de Spielberg reste le mètre-étalon du blockbuster populaire et intelligent, souvent drôle et tout le temps inquiétant dans ses scènes d'action et dans ses pauses, inoubliables. Un des vrais films-choc du cinéma. BR US

La petite prairie aux bouleaux (Marceline Loridan-Ivens, 2003) **
Un film sans aucun doute cathartique pour sa réalisatrice, survivante d'Auschwitz, sur une juive sexagénaire (Anouk Aimée) qui part seule à Birkenau sur les lieux de sa captivité. Les maladresses évidentes montrent la difficulté de traiter ce sujet - intraitable - par la fiction mais la sincérité est de chaque instant. Avoir tourné sur place à Birkenau donne au film sa puissance. DVD Z2 Fr   

The informant! (Steven Soderbergh, 2009) **
L'histoire (vraie) d'un cadre d'une entreprise agro-alimentaire US qui se prit pour un James Bond industriel en entraînant des agents du FBI dans sa mythomanie. Ca se passe dans les 90's mais c'est filmé comme un thriller pop 70's pour évoquer - avec beaucoup d'humour - le délire du type, interprété par un Matt Damon très en forme et qui peut jouer les beaufs comme personne. DVD Z2 Fr

Deep end (Jerzy Skolimowski, 1970) **
A Londres, un garçon de quinze ans embauché dans un établissement de bains décrépit s'éprend d'une collègue délurée. Typique du nouveau cinéma indépendant européen de la fin des Sixties, ce conte à la fois drôle et cruel fait la part belle aux expérimentations sur le dynamisme des angles de prises de vues et la couleur. C'est un étrange mélange de kitchen sink et de poésie pop. BR Fr

American pie (Paul Weitz & Chris Weitz, 1999) 0
Ce triomphe du box-office de la fin des 90's a t-il quelque mérite et cache t-il de bonnes surprises ? Non. Ce n'est pas le thème lui-même qui pêche (quatre potes de high school qui font le pari de perdre leur pucelage avant la fin des classes est un vrai sujet de comédie potache) mais c'est la nullité de l'écriture, du rythme, des gags et de la résolution qui aterre. Bref, rien à en tirer. BR Fr

Gentlemen prefer blondes / Les hommes préfèrent les blondes (Howard Hawks, 1953) ***

Tout en le connaissant par coeur, je prends toujours le même plaisir à revoir cette comédie à l'irrésistible fraîcheur et au Technicolor fulgurant (l'image du Blu-ray est époustouflante). Marilyn Monroe et Jane Russell, omniprésentes à l'écran, forment l'une des plus sympathiques paires de copines du cinéma et semblent s'amuser à nous faire rire. Ce film est de l'insouciance en barre. BR Fr

Total Recall (Paul Verhoeven, 1990) **
Réalisé juste avant le déferlement CGI, ce film de science-fiction martien (qui m'avait forte impression à sa sortie), s'est couvert d'une patine fin des 80's qui lui donne un sacré charme. Schwarzenegger et Stone jouent comme des pieds, mais ça apporte un côté BD très amusant. Et il y a tant de scènes mémorables. Il manque juste un petit quelque chose pour l'élever au sommet. BR Fr

1 août 2012

Passages : Gore Vidal

Gore Vidal est mort hier, mardi 31 juillet 2012, à 86 ans, dans sa maison de Hollywood Hills.


Ecrivain, scénariste, chroniqueur, amis des célébrités, démocrate, gay et activiste, il avait tant de cordes à son arc qu'on ne savait pas très bien ce qu'il faisait, finalement. Un peu comme Truman Capote, qu'il aimait autant qu'il détestait. Mais il a beaucoup écrit, remarquablement bien, notamment un livre que j'adore "Myra Breckinridge" (1968), sur un transexuel ambitieux qui dynamite le mythe du mâle américain.


A propos de flèches, il n'en était pas avare, comme cette réponse à une question d'interview :
Journaliste : "Quels sont pour vous les mots les plus tristes de la langue anglaise ?"
Vidal : "Il y en a trois : Joyce. Carol. Oates."
Je vénère J.C. Oates mais le trait d'esprit est irrésistible.


Gore Vidal (1925-2012)