20 novembre 2010

Heroes of mine : Murray

Reverend Runt dans "Barry Lyndon" (1975)

Son étrange physique pointu, sa tête en triangle, ses yeux en amande et son nez à piquer les gaufrettes sont reconnaissables entre mille. Son apparence était toute désignée pour lui faire jouer les salauds perfides ou les victimes. Pourtant, tous ses rôles offrent à ses personnages une volonté dure comme fer, une force qui sort d'on ne sait où et une belle dose de résilience : elles en font la plupart du temps des antihéros qui triomphent en joker des obstacles placés sur leur route.

Geoffrey Ingham dans "Un goût de miel" (1961)

Murray Melvin (né en 1932) a reçu le Prix d'Interprétation à Cannes en 1962 pour son rôle d'un jeune homosexuel anglais qui se prend d'amitié pour une fille-mère ouvrière dans le formidable A taste of honey / Un goût de miel de Tony Richardson. Ken Russell ne s'y est pas trompé et a fait de lui un de ses acteurs fétiches, lui autorisant un jeu de toutes les outrances (qui l'a vu les narines frémissantes d'hystérie en Father Mignon, l'apothéose de sa carrière, dans The Devils / Les Diables, ne peut pas l'oublier). Stanley Kubrick, lui aussi, lui a fait porter la robe ecclésiastique - celle qui lui va le mieux, assurément - dans Barry Lyndon.

Father Mignon dans "Les Diables" (1971)

Le cinéma n'a malheureusement pas su l'exploiter à sa pleine mesure et c'est sur la scène et à la télé que Murray Melvin a été le plus visible au long d'une carrière de déjà cinquante ans, plutôt dans des seconds rôles dont il ne fait qu'une bouchée de ses lèvres pincées. Son inquiétant personnage dans quelques épisodes de la série Torchwood de la BBC l'a fait découvrir à la jeune génération (qui d'ailleurs s'en fout).

Murray Melvin est l'un des acteurs les plus excentriques et fascinants du cinéma britannique (et qui plus est, doté d'un sens de l'humour camp ravageur dans ses interviews) : ses apparitions inattendues au détour d'un film me ravissent comme peu d'autres (l'autre jour, par exemple, dans Alfie de Lewis Gilbert). Il est l'essence même de la "Cult Movie Star" et figure à sa place tout en haut de ma liste personnelle. En écrivant ces lignes, j'ai presque envie de lui envoyer une photo de lui pour qu'il me la dédicace. C'est dire si je l'aime.

Bilis Manger dans "Torchwood" (2007)

5 novembre 2010

Films vus par moi(s), novembre 2010


*** excellent / ** bon / * moyen / 0 mauvais

Hunted / Rapt (Charles Chrichton, 1952) **
La belle photographie N&B héroïse le décor de l'Angleterre de l'après-guerre (ruines et logements poulaires londoniens, villes industrielles provinciales, campagne et côte écossaises) dans ce film désespéré mais jamais mièvre sur un meurtrier (Bogarde) accompagné d'un jeune enfant fugueur pourchassés à travers le pays. DVD

Fellini-Satyricon (Federico Fellini, 1969) ***
L'impact visuel de l'errance fellinienne est imparable : revoyant le film après plus de vingt ans, ses images, enfouies dans ma mémoire, ont ressurgi, intactes. Et la vision désabusée sur la chute prévisible de la Révolution Sexuelle des Sixties autant que celle de la Rome antique est plus fascinante aujourd'hui qu'hier. Une oeuvre sans pareille. DVD

A cry in the dark / Un cri dans la nuit (Fred Schepisi, 1988) *
Une adventiste est accusée d'avoir tué son bébé qui, selon elle, a été enlevé par un chien sauvage à Ayers Rock. Un fait-divers réel, un procès fleuve et une personnalité qui défrayèrent la chronique australienne dans les années 80 : le film raconte tout cela, comme dans un téléfilm. Streep, une fois de plus, porte tout sur ses épaules. DVD

L'ennemi naturel (Pierre Erwan Guillaume, 2004) *
En enquête près de Plouescat, un jeune lieutenant marié (Lespert) est attiré par le macho (Recoing) qu'il soupçonne du meurtre de son fils et perd les pédales de sa propre identité. Les maladresses des choix de réalisation (plans inutilement longs, inserts de fantasmes, artifices de la photo...) ruinent le sujet, pourtant original. C'est dommage. DVD

Toy story 3 (Lee Unkrich, 2010) **
Les jouets d'Andy reprennent du service et si la technique est brillante, le scénario malin et le rythme endiablé, le sentiment de redite m'a empêché d'être enthousiasmé comme j'aurais aimé. C'est juste cet effet de répétition qui m'a un peu gêné parce qu'évidemment, cela reste le haut du panier de l'animation contemporaine. Je sais. DVD

Breaking bad, Saison 1 (AMC, 2008) ***
Un prof de chimie cancéreux, sa femme enceinte et leur fils ado handicapé léger ne sont pas des héros communs pour une série TV. Le prof (Cranston, excellent) se lance dans le trafic de drogue pour payer sa chimio et assurer l'avenir de sa famille : à la fois tragique, comique et touchant, chaque scénario est une merveille d'écriture. DVD.

Rakkauden risti / The cross of love / La croix de l'amour (Teuvo Tulio, 1946) **
Une innocente fille de phare est emmenée à la ville par un beau-parleur qui la jette sur le trottoir une fois déflorée. Comme dans les autres films de Tulio, le mélo ne rend que son jus, écrasé par le style inimitable fait de gros plans, de bouts de ficelle, de sensualité débridée et de symbolisme à la truelle (la pécheresse crucifiée). DVD

The human centipede (Tom Six, 2009) ***
Fusion dérangée de comédie (un peu) et d'horreur (beaucoup), ce film hollandais qui raconte le calvaire de trois touristes enlevés par un chirurgien dément qui les coud par la bouche et l'anus pour en faire un mille-pattes humain réussit à repousser les limites de l'inconfort. Le style est clinique, l'acteur halluciné et le spectateur, lui, sonné. DVD

Northwest Passage / Le Grand Passage (King Vidor, 1940) **
L'imposante présence de Tracy, les paysages, les scènes de la traversée du marais et des rapides et le Technicolor donnent à cette odyssée de Rangers dans l'Amérique coloniale un air de livre d'aventures illustré. La longue séquence centrale de la destruction du village indien en fait, elle, un classique aux frontières du western. DVD

Mad Men, Saison 4 (AMC, 2010) ***
Toujours aussi excitante, ma série TV préférée s'ouvre cette saison à plus de péripéties tout en évoquant avec finesse l'évolution sociale, économique et culturelle du milieu des Sixties. Le casting est toujours aussi étincelant, comme la réalisation et si la clôture de l'épisode final est plus faible que les autres, peu importe. Mad Men est génial. Streaming

Levoton veri / Restless blood / Amour défendu (Teuvo Tulio, 1946) ***
Dans cet invraisemblable mélo finlandais, une bourgeoise aveugle retrouve la vue sans le dire à son mari qui la cocufie chez eux avec sa soeur. La mise en scène quasi post-moderne et le jeu outrancier de l'actrice Linnanheimo font du film une expérience saisissante. Le cinéma hystérique de Tulio atteint ici les sommets du camp. DVD

Life during wartime (Todd Solondz, 2009) **
Reprenant les personnages de son formidable "Happiness" (1998), mais avec des acteurs différents, Solondz dresse le portrait d'une famille aux prises avec ses fantômes. En une succession de conversations à la fois très dérangeantes et très drôles, il tisse une comédie sombre sur la souffrance des uns par les actes des autres. DVD

Splice (Vincenzo Natali, 2009) *
Un couple de chercheurs créé un hybride en fusionnant des ADN humains et animaux, pour leur malheur. Natali n'est pas Cronenberg : son idée de départ, intrigante, est ruinée par la stupide dernière demi-heure d'action obligée. Il y avait de quoi faire bien mieux mais la créature adulte, jouée par une actrice, vaut le coup d'oeil. DVD

Yoyo (Pierre Etaix, 1965) **
L'esprit absurde et poétique du cirque traverse ce joli film d'un somptueux noir et blanc où Etaix joue un père et son fils qui font la navette entre le château et la roulotte. Les gags se succèdent par petites touches, légers comme des bulles de savon. Seul le thème musical, suremployé, est assez énervant mais c'est peu de chose. DVD

The loss of a teardrop diamond (Jodie Markell, 2008) *
Sur un (faible) scénario inédit de Tennessee Williams, un mélo sudiste anachronique avec une héritière névrosée éperdue d'un bogosse sur fond de bal des débutantes. La réalisatrice s'est crue investie d'une mission de résurrection et a accouché d'un festival de camp involontaire : outrance, surjouage et accents hilarants à gogo. DVD

Black death (Christopher Smith, 2010) *
L'Angleterre en 1348 : des soldats chrétiens rejoignent un village épargné par la peste pour comprendre pourquoi. Un film dans l'esprit Hammer mais saigné de sa poésie, de son humour british et de ses pépées. Mais avec du gore en plus et Van Houten qui semble sortie d'un autre film. Un sujet intéressant mais un traitement décevant. DVD

Wise blood / Le Malin (John Huston, 1979) **
Dourif est ébouriffant dans le rôle d'un petit prédicateur paumé mais le film, qui oscille entre farce et pamphlet, se perd dans un propos assez confus qui tient le spectateur à distance malgré la galerie d'excentriques et d'excentricités. Très littéraire et d'une ambiance en demi-teinte, c'est l'un des films les plus énigmatiques de Huston. DVD

Frightmare (Pete Walker, 1974) **
Une superbe photo et la présence d'une fascinante actrice (Keith) dans le rôle de la vieille psychopathe (tueuse et cannibale) sont deux atouts majeurs de ce thriller d'horreur qui s'engage contre les dérives de la psychiatrie libérale. C'est gore, sans excès, et sacrément efficace. Un film rare, culte depuis longtemps en Angleterre. DVD

Zombieland / Bienvenue à Zombieland (Ruben Fleischer, 2009) **
On rit de bon coeur avec cette comédie horrifique, road-movie sans queue ni tête dans une Amérique livrée à des zombies véloces. Le scénario n'a aucune importance : seul l'amusement potache compte, porté par des acteurs tous excellents, un rythme effréné et l'un des meilleurs caméos du cinéma récent. Vraiment sympathique. DVD

The New World / Le Nouveau Monde (Terrence Malick, 2005) *
Le sujet, la reconstitution historique, le casting, la photo, le supplément d'âme : tout aurait dû faire de ce film un chef-d'oeuvre. Mais Malick a fait la bêtise de faire faire la gueule à ses personnages du début à la fin et d'exprimer leurs tergiversations existentielles par d'insupportables voix-off chuchotantes. Le film ne s'en remet pas. DVD