26 octobre 2008

"Les Amis" (Gérard Blain, 1971)


A la fin des années 60, Paul, un garçon de 16 ans qui vit avec sa mère dans un immeuble HLM des boulevards des Maréchaux à Paris, entretient une relation homosexuelle avec Philippe, un riche homme marié de 50 ans qui lui offre l’attention, la tendresse et le confort matériel dont il a toujours été privé.

Ce sujet, très sulfureux pour l’époque (en 1971, Paul est cinq ans sous l'âge légal de 21 ans) et qui garde quelque peu de sa charge subversive quand on le découvre près de quarante ans plus tard, est traité avec austérité par Gérard Blain, l’acteur du Beau Serge, dans "Les Amis", le premier de ses dix films en tant que réalisateur. Scénariste et dialoguiste de son film, Gérard Blain s’est sans doute en partie inspiré de son propre parcours (le père absent, l’abandon de l’école à 13 ans, la séduction du physique, l’appel d’une carrière artistique…) pour raconter l’histoire du jeune Paul, de ses aspirations à une autre vie et de son indépendance rudement acquise.

Admirateur proclamé de Robert Bresson, Gérard Blain choisit de réaliser son film dans un style assez proche de celui de son aîné, à l’aide de plans longs soigneusement composés, d’une caméra la plupart du temps immobile et d’un jeu tout en retenue de ses acteurs. Avec en plus, l’utilisation symbolique des couleurs vives. Etude de caractères plus qu’étude de mœurs, « Les Amis » évite ainsi tous les pièges du sensationnalisme dans lequel le sujet aurait pu le précipiter.

La relation qu’entretiennent Paul et Philippe ouvertement homosexuelle (même si, bien sûr, aucune scène de sexe n’est montrée) mais le propos du film n’est pas seulement là. Il s’agit aussi d’évoquer les désastres que peut entraîner le désert affectif, que ce soit dans les relations entre parents et enfants (Paul, sa mère et sa sœur) ou entre époux (Philippe et sa femme) et des possibilités de solutions que la vie saura toujours proposer, notamment dans les rencontres extérieures. En rencontrant Philippe, qui lui offre l’accès matériel à un monde auquel il n’aurait pu prétendre, Paul trouve aussi la chaleur humaine et le conseil raisonnable qui lui permettent de croire en lui et de prendre, le moment venu, les bonnes décisions pour affronter avec succès le passage à l’âge adulte.

Porté par les remarquables prestations de Yann Favre (Paul) dans un rôle difficile et de Philippe March (Philippe) dans un rôle plus difficile encore, « Les Amis » sait garder du début à la fin la ligne directrice de cette thématique compliquée par le fait que les deux personnages sont masculins. Ce qui ne pourrait être qu’une simple histoire de gigolo (Blain ne cache pas le fait que Philippe entretient Paul, qui lui même entretient sa mère) prend une dimension universelle et devient par l’intelligence du traitement une méditation sur la transmission entre les générations et du besoin qu’on a les uns des autres. La réussite du film tient au fait que les deux personnages, Paul et Philippe, trouvent chacun leur propre équilibre dans la relation de dépendance qu’ils ont engagée. Et par le fait que Gérard Blain se garde d’expliquer ou de juger celle-ci : l’absence de jugement externe sur le rapport des deux hommes est d’ailleurs une des grandes surprises que réserve le film.

Autour des deux personnages principaux en gravitent d’autres, bien croqués par Gérard Blain grâce à une écriture précise de leurs conditions et personnalités : le petit groupe d’amis bourgeois que Paul se constitue lors d’un séjour à Deauville (et notamment de la jeune fille blonde avec laquelle il a une aventure), de la famille de Paul (sa mère, sa sœur et son beau-frère) et surtout du troisième personnage du film, Nicolas (Jean-Claude Dauphin), l’étudiant aux Beaux-Arts qui comprend bien que Philippe n’est pas l’oncle de Paul comme celui-ci le présente et que leur « amitié » cache en fait sa véritable nature. C’est lui qui, à un moment crucial de l’histoire, permettra à Paul de franchir un cap décisif.

Le film prend pour décors plusieurs univers totalement différents : le Paris populaire d’où Paul vient ; la campagne verdoyante où Philippe vit avec sa femme ; Deauville et son théâtre social ; le Neuilly de la bourgeoisie renfermée sur elle-même. Dans ces décors, le thème du théâtre et du jeu reviennent en leitmotiv, d’abord par la métaphore (les usurpations identitaires et les signes extérieurs d’appartenance, comme les vêtements, les appartements et les voitures) puis plus tard, plus directement grâce à la scène de la classe de théâtre qui clôt pratiquement le film.

« Les Amis » (il faut noter que les guillemets font partie intégrante du titre du film) est une œuvre d'une calme audace tout à fait à part dans le paysage cinématographique français du début des années 70. Présenté en Sélection Officielle à Cannes en 1971, « Les Amis » a remporté le Léopard d’Or au Festival de Locarno 1971 dans la catégorie « Meilleure Première Œuvre». Gérard Blain continuera à explorer certaines des mêmes thématiques dans ses films suivants, notamment avec Un Enfant dans la Foule, en 1976. Intéressante partition de François de Roubaix, notamment à base de voix.
En regardant le film l'autre jour, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à une brillante réplique de Certains l'Aiment Chaud, film avec lequel "Les Amis" n'a évidemment strictement rien à voir : à un moment, Tony Curtis demande à Jack Lemmon quelque chose comme "Pourquoi un homme épouserait-il un homme ?". Le réponse, imparable : "La sécurité !". Si "Les Amis" avait été une comédie, ça l'aurait assez bien défini...

C’est tout à l’honneur de René Château que d’avoir sorti « Les Amis » de l’oubli dans lequel il était tombé en l’éditant en DVD (je n'avais jamais entendu parler de ce film avant de la voir). Techniquement, le DVD est du pur René Château : pas de chapitrage, une image non-anamorphique, un son parfois un peu saturé et aucun supplément. Mais la qualité de la copie utilisée est excellente, les couleurs sont vibrantes et la compression est impeccable.

24 octobre 2008

Girl in Gold Boots (Ted V. Mikels, 1968)


Une brune aux airs d’héroïne de série Z (c'en est d'ailleurs une) qui se morfond dans son job de serveuse de dinner dans le désert en passant son temps à danser seule sur des tubes de juke-box et qui rêve d’aller faire carrière de Go-Go Girl à Los Angeles : c’est le début de ce film fort sympathique, sans doute le plus accessible et regardable d’un des rois de l’exploitation américaine, Ted V. Mikels. Elle y réussira, après avoir rencontré un beau parleur qui connaît le patron d’une boîte louche où les filles se trémoussent sur les chansons d’un groupe pop de troisième zone. La brune gravira tous les échelons du métier de Go-Go Girl, prise en amitié puis en détestation par la meneuse du groupe, la seule des filles chaussée de bottes dorées (d’où le titre), toutes les autres portant des bottes argentées. Elle croisera sur le chemin du succès un bellâtre guitariste en mal de producteur (dont elle tombera amoureuse au grand dam de son protecteur), quelques crapules, des drogués, des types de la mafia locale et un flic un peu trop entreprenant…

Je n’avais bien sûr jamais entendu parler de Girl in Gold Boots avant de lire quelques avis amusés sur des blogs de cinéma-bis. Le thème de la Go-Go Girl en péril est sans doute l’un des plus intéressants du cinéma d’exploitation non horrifique dont il mélange toujours plusieurs principes fondamentaux : les belles pépées peu vêtues qui savent remuer en cadence tout ce qui bouge, les morceaux pop-rock inconnus, les maquereaux sapés, les flingues et les poursuites en voiture. Girl in Gold Boots n’échappe pas à la règle : il en suit même à la lettre les principes sacrés. Comme il s’agit d’un film de 1968, les fringues, les coiffures, les couleurs et la bande-originale sont un régal, pour les yeux et les oreilles. Ca pourrait être un film d’Elvis (il aurait juste fallu un peu plus de moyens et la présence du King), le héros étant ici un ersatz de Presley au demeurant très sympathique. Quelques gueules sont la cerise sur le gâteau, comme celle de l’homme de main du patron de la boîte de nuit, sérieux comme un pape mais affligé de tics oculaires hilarants.

Je n’ai reconnu aucun des acteurs du film, dont pas un n’a fait brillante carrière (ils ont plutôt la tête d’acteurs de séries TV de l’époque), mais j’ai tout de suite noté la présence magnétique de l’actrice principale, une certaine Leslie McRae, improbable croisement de Jennifer Jones et d’Angelina Jolie. La belle plante brune ne sait pas jouer ni danser (elle surjoue et surdanse toutes ses scènes) mais quand elle est à l’écran, on ne voit qu’elle : son charisme physique et son investissement de toute évidence sincère dans le rôle de sa vie forcent le respect à défaut de la crédibilité. Rien que pour elle, le film est à voir.

Le réalisateur Ted V. Mikels, vieux briscard du cinéma-bis (qui, si cela vous intéresse, vend ses DVD dédicacés pour pas grand-chose sur son site web), ne fait pas preuve d’une grande imagination dans les séquences filmées ni le travail de montage, mais réussit quand même quelques belles prises de vues, comme les plans en plongées et en rythme sur les fesses ou les seins de la petite troupe de Go-Go Girls en action. Il a aussi eu la bonne idée d’utiliser des décors naturels du Los Angeles de l’époque, avec ses quartiers un peu louches, ses néons dans la nuit, ses boîtes aux décors kitschs à souhait (le fameux "Hollywood’s Haunted House Club" est d'ailleurs celle où se produisent les Go-Go Girls) et ses parkings à perte de vue. Dans une audace de scénario assez culottée pour un film aussi léger, il se permet même une fin douce-amère où plane l’ombre de la Guerre du Vietnam.

Girl in Gold Boots est un petit film qui se déguste sans doute avec encore plus de plaisir 40 ans après sa réalisation qu’au premier jour : finalement innocent et plutôt stylé, il est l’exemple sympathique d’un certain cinéma des la fin des années 60, plus destiné au drive-in qu’à la salle obscure. Le sexe, la violence et la musique y sont encore bon-enfants. Et ce n’est pas dépréciatif. Dans le genre, c'est même une sorte de petit chef-d'oeuvre.

Girl en Gold Boots est également digne d'intérêt pour une autre raison : le film a de toute évidence inspiré le formidable Showgirls de Paul Verhoeven, dont il préfigure, avec 30 ans d’avance et beaucoup plus de retenue, la plupart des péripéties mélodramatiques. Une bonne descendance, en somme.