20 septembre 2008

In the Realms of the Unreal (Jessica Yu, 2004)

Henry Darger : ce nom encore inconnu du grand public est pourtant celui d'un des plus grands visionnaires de tous les temps. C'était un vieil homme timide de 81 ans qui est mort en 1973 dans un hospice de Chicago, totalement seul et totalement fauché. Son propriétaire est entré dans le studio qu’il lui louait pour une bouchée de pain afin de se débarrasser de toutes les affaires du mort. Parmi un fouillis indescriptible, il a trouvé un trésor rangé dans des malles : The Realms of the Unreal (Les Royaumes de l’Irréel), l'oeuvre secrète d'une vie...

Henry Darger était né en 1892 (il disait au Brésil mais en vérité à Chicago). En 1916, il commence la rédaction à la machine à écrire de The Realms of the Unreal, qui est aujourd’hui considéré comme le plus long roman jamais écrit (plus de 15.000 pages). Le titre exact est « L’Histoire des Vivian Girls, Autrement Connue comme les Royaumes de l’Irréel, qui Raconte la Tempête Guerrière Glandeco-Angélinienne Provoquée par la Rébellion des Enfants Esclaves. » L’histoire, qui se passe dans un autre Monde et dans un autre Temps, est celle des Vivian Girls, 7 petites filles de 7 ans qui sont trahies, chassées, abusées et torturées par des soldats semblant sortir de la Guerre de Sécession. Elles subissent les pires exactions (qui ne sont pourtant rien par rapport à ce que les soldats font subir aux autres enfants qui peuplent le roman) mais elles possèdent une parade redoutable : un sens inné de la stratégie militaire et de l’art de la guerre qui va leur permettre, avec l’aide de génies protecteurs (des petits garçons ailés et des dragons volants) de défaire leurs tortionnaires après une longue série de batailles apocalyptiques où les éléments naturels eux-mêmes participent au déchaînement de la violence par des cyclones, des incendies, des tremblements de terre et autres éruptions volcaniques…

Henry Darger n’a écrit son roman que pour lui-même, n’ayant jamais envisagé d’essayer de le publier (aucun éditeur n’aurait osé le faire de toute façon compte-tenu des horreurs décrites et de la longueur colossale). Une vingtaine d’années plus tard (vers 1935), ayant terminé son roman, Darger décide de l’illustrer. Comme il n’a aucune formation d’artiste, il décalque des publicités, des photos dans des catalogues de vente, des images trouvées au hasard et les assemble en collages dans des compositions immenses (certaines font près de 4 mètres de long) sur des morceaux de papier collés bout à bout. Il colorie et peint les dessins décalqués et créé plus de 300 « tableaux » vraiment extraordinaires, considérés aujourd’hui par les spécialistes de l’Art Brut comme d’absolus chefs-d’œuvre. Il illustrera son roman pendant près de 40 ans, jusqu'à quelques semaines avant sa mort. D’une imagination hallucinante, d’une beauté de composition et de couleur étonnante et souvent d’une violence hors-norme, ces « oeuvres » sont aujourd’hui achetées par les plus grands musées et collectionneurs du monde et atteignent des sommets dans les ventes… mais elles sont très difficilement exposables au public à cause de leur contenu parfois très choquant et de leur très grande fragilité.

Henry Darger ne pouvait d’ailleurs pas voir ses créations dans leur intégralité car son studio ne lui permettait pas de les dérouler : pour lui, c’était l’acte créateur qui comptait, pas la réalisation finale. Avec The Realms of the Unreal, Darger s'était créé son propre Monde, inaccessible à tous sauf à lui-même. C’est pourquoi Darger est aujourd’hui étudié à la fois par les historiens d’art, les psychiatres, les psychanalystes et les criminologues… Il est aussi considéré comme l'un des très grands créateurs du XXe siècle (d'ailleurs, le petit immeuble où était le studio de Darger a été démoli mais la pièce où il travaillait a été démontée et est aujourd'hui, avec ses objets personnels, la propriété du "Museum of American Folk Art" de New-York).

In the Realms of the Unreal est disponible en DVD Z1. C'est un documentaire de Jessica Yu (2004) qui fait plonger le spectateur dans cette histoire passionnante. Raconté (c'est une idée très culottée, compte-tenu des thèmes obsessionnels de Darger) par la petite Dakota Fanning (sans doute enrhumée lors de l'enregistrement de son commentaire), la jeune prodige du ciné américain - celle de La Guerre des Mondes de Spielberg, ce documentaire utilise les dessins de Darger en les animant et donne vie à son monde fantasmagorique. C’est un documentaire très créatif de 80 minutes, qui utilise abondamment l'animation et qui ne ressemble à aucun autre. Il nous ouvre les portes d’une oeuvre étrange qui a failli ne jamais ressurgir à la lumière du jour et nous en présente toutes les complexités. Il a été repproché à Jessica Yu de ne pas avoir tenté une "explication" scientifique du travail de Darger mais d'avoir conçu un documentaire illustratif : c'est un choix comme un autre... et il y aurait tellement de choses à dire. Le film est en tous cas une formidable introduction à une oeuvre incomparble. Comme le dit très justement la tagline du film : « Toute la vie d’Henry Darger s'est passée entre trois rues mais quand il était chez lui, il s'aventurait dans un Univers sans limites".

Je recommande vivement l’achat de ce DVD à ceux qui s’intéressent aux processus alternatifs de création artistique, à l'Art Brut, à la psy (-chologie, -chiatrie, -chanalyse) et aussi aux excellents films documentaires. Un véritable voyage dans Les Mondes de l'Irréel et un beau film tout court. Pas de sous-titres français.

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