20 septembre 2008

Desert Fury (Lewis Allen, 1947)


Desert Fury (La Furie du Désert) a le titre d’un western mais c’est tout ce qu’il en a. C’est un vrai mélodrame aux accents de Film Noir, tourné en Technicolor ("Technicolor Consultant : Natalie Kalmus" pour ceux qui comme moi sont en transe quand ce carton apparait sur un écran) en 1947 par Lewis Allen, honnête tâcheron qui a plus œuvré par la suite pour la télé que pour le grand écran et qui avec ce film, a fait au moins un chef-d'oeuvre.

Dans le paysage aride du Nevada, une mère seule (Mary Astor) et sa fille solitaire (Lizabeth Scott) partagent un grand manoir colonial mais n’ont vraiment pas grand-chose à se dire. La mère tient un casino-saloon puisque que le Code l’empêche de tenir un bordel. Le jeune adjoint au sheriff (Burt Lancaster) en pince pour la fille qui lui préfère un type un peu louche (John Hodiak) tout juste arrivé dans la ville et venu d’on ne sait où, accompagné d’un homme de compagnie (Wendel Correy) qui va tout faire pour éloigner la fille qu’il a prise en grippe. Bien sûr, le type un peu louche n’est pas un enfant de chœur et les passions s’enflamment entre tous ces personnages qui cachent leurs secrets pour notre plus grand bonheur.

La « furie » du titre pourrait mieux s’appliquer au scénario qu’au désert : Desert Fury est un mélodrame pur jus. Mais en 1947, il est difficile de trouver des personnages moins stéréotypés que ceux-ci. Au fur et à mesure que le film se déroule, on se rend compte que les couples les plus intéressants ne sont pas ceux qu’on nous montre, mais ceux qui nous sont suggérés. Fritzi et Paula (la mère et la fille) sont en fait aussi soudées l’une à l’autre que le sont Eddie et Johnny (le dur et son acolyte). Tom (l’adjoint au sheriff), comme nous, semble d’abord perdu au milieu des relations complexes qu’entretient tout ce petit monde qui se déchire.

Et voyez comme ! Paula n’appelle jamais sa mère « maman » mais par son prénom « Fritzy » (sur un ton souvent rageur mais parfois voluptueux) et lui roule une pelle à la fin du film. Eddie dit à un moment que "Johnny est sa femme" et se fait bronzer torse nu dans une chaise longue – ça pourrait être Gene Tierney ou Lana Turner, mais non, c’est bien John Hodiak - pendant que son copain lui sert le thé. Paula tourne autour d’Eddie mais fait la gueule à Johnny qui lui barre la route et voudrait la voir disparaître une fois pour toutes. Fritzy gifle régulièrement ses interlocuteurs à revers de main et traite sa fille de tous les noms avant de noyer sa peine dans le whisky. Tom (Burt Lancaster, dans un de ses tout premiers rôles, incarne ici l’All-American-Boy), ne comprend rien à l’affaire et passe une grande partie du film à montrer son sourire éclatant en gros plan.

Desert Fury a des poursuites en back-projection et soufflerie de studio, un accident de voiture, des crépuscules rougeoyants, une scène de séduction sur une peau de bête devant la cheminée, des coups de poing et des gifles (cf. plus haut) et un incalculable nombre de gros plans de visages en Technicolor, dans tous les états de la colère, du désir et de la manipulation. Les deux acteurs les plus jeunes (Scott et Lancaster) ont la part belle de ces gros plans, qui sont l’un des très grands atouts du film. Burt Lancaster est une bête splendide et Lizabeth Scott fascinante et perverse comme jamais, avec ce physique qui rappelle vaguement d’autres actrices de l’époque mais qui n’appartient finalement qu’à elle. Et son petit défaut de prononciation (on dirait toujours qu’elle a une patate chaude dans la bouche) est toujours aussi craquant. Mais Astor a quelques gros plans aussi, bien gratinés. Aucun tremblement de paupière, de froncement de sourcil ne nous est épargné. L'actrice se délecte apparemment de son rôle. A la fin, l’ordre est revenu (jusqu’à quand ? car chacun sait que la Nature reprend aussi vite ses droits qu’elle les a abandonnés) et la musique de Miklos Rozsa parvient à ses sommets.

Je n’ai jamais vu un film de cette époque (1947, quand même !) avec autant de sous-entendus sur l’ambigüité sexuelle de ses personnages. Les dialogues étincellent et ont du provoquer bien des sourires crispés in y a soixante ans. Du genre. Astor à Scott : « Tu te souviens quand tu étais petite, tu venais toujours dans mon lit. Il est bien vide maintenant » ou encore Hodiak à Scott pour expliquer le début de sa relation avec Correy : « J’étais seul. Il avait deux dollars. Je suis monté chez lui ». Des lesbiennes incestueuses et des gigolos homos : si c'est pas du méli-mélo... Bref, Desert Fury est une rareté qui mériterait de sortir de l’oubli dans lequel il est tombé. C’est un régal subversif et un ravissement plastique de tous les instants. La réalisation de Lewis Allen est tout à fait honnête, portée de toute façon par l'outrance du scénario.

Je n'avais jamais entendu parler de Desert Fury avant de lire sa review et de voir ses captures d’écran sur DVDBeaver. Je ne le regrette pas, il est entré directement dans la liste de mes films préférés. Camp ou Pulp, Trash ou Kitsch, c'est comme vous voulez : c'est un plaisir coupable peut-être, mais quel plaisir ! And God bless Lizabeth Scott !

Le DVD Z5 (Australie) - en fait Zone All - est excellent. Pas de restauration apparente du film mais l’image, la couleur et le son sont irréprochables. En anglais sans sous-titres. Une édition Z2 serait bienvenue, elle permettrait aux amateurs de découvrir cette pépite noire en Technicolor.

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