20 septembre 2008

The Best of Everything (Jean Negulesco, 1959)

Sur le générique au graphisme rose de The Best of Everything (Rien n’est trop beau) de Jean Negulesco, les secrétaires new-yorkaises vont au bureau en trottinant avec des petits chapeaux ou des fichus, des tailleurs jaunes ou turquoise, des colliers de perles et des gants blancs. Et Johnny Matthis chante avec maints effets de voix le sirupeux theme song sur des images du Manhattan de l’époque. Quel début !

Mais au 25ème étage du gratte-ciel qui abrite la maison d’édition Fabian Publishing, ce n’est pas vraiment le Paradis. Le vieux directeur (Brian Aherne dont le personnage répond au nom spectaculaire de Mr. Shalimar) et une garçe d'éditrice en chef (Joan Crawford comme on l'aime) rendent dingues leurs employées, l’un en leur pinçant les fesses à tout bout de champ, l’autre en les accablant de remarques vexatoires. Trois nouvelles recrues (Hope Lange, Diane Baker et Suzy Parker) se serrent les coudes, décident de partager un même appartement et connaissent des carrières et des vies sentimentales aux péripéties que seul Hollywood dans les années 50 pouvait inventer…

Le film se voulait une réponse urbaine à Peyton Place (même producteur : Jerry Wald et une même actrice : Hope Lange). Comme dans Peyton Place, les thèmes traités y sont assez culottés pour l’époque : ici, c'est le harassement moral et sexuel au travail et la nature prédatrice de (presque) tous les hommes pour la chair fraîche des jeunes provinciales. Celles-ci sont d’ailleurs plutôt délurées, n’hésitant pas à coucher avec leurs supérieurs, inférieurs et rencontres de passage et même à tomber enceintes avant le mariage, avec les conséquences que ça implique... Mais au fond, ce dont elles rêvent, c’est au Grand Amour, pour lequel elles sont prêtes à laisser tomber amies et carrières.

The Best of Everything, vu aujourd’hui, est un bon exemple d’anti-féminisme paradoxal : alors que la première partie du film montre des jeunes femmes volontaires aux plans de carrière et d’indépendance assurés, tout cela part en marche arrière dans la seconde partie quand elles croient avoir rencontré les hommes de leur vie et ne pensent plus qu’au mariage, à la maison et aux bébés. Mais le destin (et la muflerie des hommes) sera cruel, entraînant les malheureuses dans des abîmes de désillusion… Si on écoute bien les paroles de la chanson de Johnny Matthis, on tient la vraie morale : « We’ve proven that romance is still the best of everything » (« On a prouvé que l’amour est toujours ce qu’il y a de mieux"). Et au passage que les femmes qui travaillent ne le font que parce qu’elles ne sont pas assez aimées. Les féministes contemporaines doivent apprécier…

A part sa thématique ouverte à bien des débats, le film est un vrai régal pour les yeux : les costumes popuchic, les coiffures, les décors intérieurs (appartements et bureaux qui semblent sortir d’un magazine de déco des années 50), les voitures et les vues de Manhattan en 1959 sont un bonheur de chaque instant. Les dialogues sont souvent excellents, la palme étant réservée aux répliques assassines de Joan Crawford (du genre : alors qu’Hope Lange lui demande si elle doit taper à la machine un travail urgent qu’elle vient de lui demander d'effectuer, Joan lui répond sans ciller : « Non, prenez un tambour indien !»…). Crawford a un petit rôle mais c’est elle qui, comme à son habitude, vole la vedette à tous les autres comédiens. A part humilier ses subalternes, elle note rageusement sur les manuscrits qu'elle reçoit la mention "Trash : No!" (les détracteurs du film aiment d'ailleurs à dire que ces deux mots le résument assez bien). Ceci dit, tous les comédiens sont bons, même Stephen Boyd...


Bref, The Best of Everything est un très divertissant mélotrash qui mérite d’être bien plus connu pour ceux qui aiment le genre inénarrable du Women’s Picture, dont c'est un des derniers feux d'artifice. Le commentaire sociologique sur le monde du bureau et sur la guerre des sexes dans les Fifties est la cerise sur le gâteau. Réalisation sans surprise mais très efficace de Negulesco qui a un peu fait avec ce film la version sombre et mélodramatique de son Comment Epouser un Milliardaire. Le film préfigure aussi, évidemment, Le Diable s'habille en Prada. Très bonne fin doux-amère, avec reprise en choeur de la chanson du titre. Un plaisir coupable idéal pour un dimanche après-midi paresseux.

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