20 septembre 2008

Anders als du und ich (Veit Harlan, 1957)


Un film allemand de 1957 traitant du douloureux problème de l’homosexualité (et titré Anders als Du und Ich soit Différent de Toi et Moi) est en soi une curiosité. Quand il est réalisé par Veit Harlan, le sulfureux réalisateur des années nazies, c’est une tentation. Quand l’outrance du scénario fait basculer le film dans un sommet de camp, c’est une obligation. L'avis ci-dessous s’adresse à ceux et celles qui aiment savourer le cinéma de Papa d’après-guerre dans ce qu’il a de plus tordu et de plus tordant.

1957 en Allemagne. Dans une salle de tribunal berlinoise s’ouvre le procès sensationnel d’une bonne petite mère de famille d’une cinquantaine d’années. Flash-back sur les mois précédents : Klaus, le fils adolescent de l’accusée, traîne un peu trop avec le blond Manfred, un ami de collège dont les mœurs sont suspectes. Manfred lui présente le Dr Boris, un esthète entre deux-âges qui collectionne les objets d’art et les jeunes éphèbes. Klaus se laisse entraîner dans un monde interlope que ses origines petite-bourgeoises réprouvent. Cherchant dans le dictionnaire le sens du mot « homosexuel », dont son fils a été traité par ses camarades de classe, la bonne petite mère tombe dans les pommes puis décide de prendre le taureau par les cornes. Elle paie une jeune fille au pair pour déniaiser son fils en perdition et lui faire retrouver le droit chemin. Mais les choses ne se passent pas comme prévu et c’est la bonne dame qui se fait interpeller par les flics et risque maintenant la prison pour proxénétisme…

Voilà en bref le scénario démentiel de Anders als du und ich, une rareté qui est sorti il y a quelques mois dans une excellente édition DVD du très sérieux Edition Filmuseum / Filmmuseum München / Goethe Institut.

Comment appréhender un film comme celui-là 50 ans après sa réalisation ? Par l’analyse historique un peu, par le sourire surtout.

Du côté historique, si ce n’est pas le premier film grand public abordant frontalement l’homosexualité (c’est un autre film allemand de 1919 ( !) – au titre très proche - qui donna le coup d’envoi : Anders als die Anderen), celui-ci s’impose quand même comme une date dans le genre. Dans ses mémoires, Veit Harlan a dit qu’il avait voulu faire un film anti-homophobe en réaction contre l’infamant §175 du Code Pénal allemand de l’époque qui faisait de l’homosexualité un délit. Quand on sait que Veit Harlan (1899-1964) avait été, une quinzaine d’années auparavant, le réalisateur officiel du Troisième Reich et que Goebbels lui avait confié des films de propagande nazie à succès (Le Grand Roi / 1942 ; Kolberg / 1945 et surtout l’explosif antisémite Juif Süss / 1940), on peut douter de sa bienveillance pour l’homosexualité. A la vision du film, on peut penser au début que Harlan ne juge pas les invertis qu’il montre mais très vite, l’outrance de leur représentation en fait sérieusement douter. L’un des – nombreuses - surprises de Anders als du und ich est donc qu’il commence comme un manifeste de tolérance homophile pour se terminer en véritable brûlot homophobe. Le film a connu des démêlés avec la censure allemande de l’époque : son titre original « Le Troisième Sexe » a été refusé et certaines scènes ont dû être retournées, coupées ou ajoutées (notamment la fin dont le rythme semble un peu précipité). Pour la petite histoire, Veit Harlan était l’oncle par alliance de Stanley Kubrick (l’oncle de la femme de Kubrick).

Mais c’est bien sûr le côté comique du film, totalement involontaire, qui en fait aujourd’hui tout le sel. Il faut le voir pour le croire. Les parents de Klaus n’écoutent que de la musique wagnérienne alors que ses amis invertis ne jurent que par la « musique concrète », digne de celle de Planète Interdite. Le séducteur Dr Boris Winkler (docteur en quoi ? on se le demande toujours) vit dans une grande maison dont les fenêtres sont toujours fermées et organise pour ses amis des matchs de lutte grecque entre garçons fort dénudés au milieu de son salon bourré d’antiquités. Les scènes qui se passent chez lui sont d’ailleurs toutes filmées avec la caméra penchée à 45°, sans doute pour suggérer le déséquilibre et font beaucoup penser aux films d’horreur Universal des années 30 et des Expressionnistes allemands. Le blond Manfred, celui par qui les problèmes arrivent, écrit des poésies « pleines d’adjectifs » et passe la plupart de son temps au lit, signe évident de paresse physique et morale. La jeune fille au pair, payée par la bonne mère, relève son chandail sous les yeux médusés du jeune homme en péril – et elle ne porte pas de soutien-gorge (je ne vous dirai pas si finalement Klaus franchit ou non le Rubicon, vous devez voir le film pour le savoir). Il faut avoir vu la réaction de la mère s’effondrant sur son canapé après avoir lu la signification du mot « homosexuel » dans le dictionnaire et entendu les « explications scientifiques » du médecin de famille sur la vie que le fils se prépare s’il s’engage dans la voie de la perdition. Le père du jeune homme, quant-à-lui, se refuse à parler à son fils après la première engueulade mais se laisse quand même entraîner par son frère (qui semble connaître les bons endroits de la ville) dans un cabaret homo où un énorme travesti chante des torch-songs puis s’enfuit quand il se rend compte qu’il n’arrive plus distinguer dans la pénombre les hommes des femmes… et des autres. Il faut aussi voir la tête de la bonne mère (jouée par Paula Wessely, une ex-star du cinéma nazi), dont l’idée n’était pourtant pas malicieuse, entendre le verdict de son jugement, coiffée d’un petit chapeau et s’accrochant à son sac-à-main pour ne pas défaillir.

Au milieu de tout ce délire, il y a quelques scènes assez surprenantes dans leur franchise, comme celles où revient le mot « homosexuel » (prononcé au moins dix fois et banni dans les autres cinémas de la même époque), celle du cabaret de travestis, celle où les deux garçons se jurent « un amour éternel » et se promènent main dans la main ou encore l’apparition spectaculaire des nichons de la fille au pair (on a envie d’écrire « aux paires ») … Les acteurs sont plutôt bons - notamment celui qui joue le Dr Boris - et ne surjouent presque pas.

Les divers titres du film sont à eux-seuls un poème : Anders als Du und Ich (Différent de toi et moi) est celui du film sorti après les modifications demandées par la censure. Les autres titres avaient été : "Les Parents accusés" ; "Le Troisième Sexe" ; "Tu es coupable et tu ne le sais pas" (mon préféré, de loin) ; "§175" ; "Jeunesse sauvage"…

Bref, Anders als Du und Ich est une perle rare du cinéma allemand de l’après-guerre, à la fois passionnant et ridicule mais qui a le mérite de parler de choses dont on ne parlait pas encore dans le cinéma des années 50. Veit Harlan étant Veit Harlan, tout cela ne fait pas dans la dentelle mais le film réserve assez de surprises et d’audaces (et de burlesque malgré lui) pour faire partie des OVNI les plus remarquables de l’époque. C’est sans doute cela qui a poussé la très respectable Edition Filmmuseum à le ressortir dans une très belle édition.

Le genre de film qui gagne encore à être découvert un bon verre à portée de main.

Le DVD Edition Filmmuseum (Z0 allemand) est d’excellente qualité image (n&b - 1,37 – 4/3) et son (allemand d’origine). Sous-titres allemands et anglais optionnels.
Bonus : Comparaison scène par scène de la version originale et de la version remontée pour la sortie en salles (38 minutes) + documents de production sur DVD-Rom.

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